Face à la différence phénoménale entre les dépenses d'une université américaine et une université française, on peut se poser la question : "bon, mais ils en font quoi, de tout cet argent ?"

Un début de réponse nous arrive lorsqu'on regarde à quoi ressemblent les campus... Quelques photos d'universités françaises :

A contrario, ce qu'il y a de l'autre côté de l'Atlantique :

On n'est clairement pas dans la même logique. L'effet d'un beau campus, bien entretenu, sur le moral des chercheurs et des étudiants n'est pas assez pris en compte en France (note : je suis conscient des limites de l'exercice. Les photos françaises ont été prises en cherchant à mettre en évidence les défauts, les photos américaines ont été prises pour montrer ce qui est beau. Elles illustrent cependant une évidence. J'ajoute que, même en cherchant bien et en choisissant avec soin mon cadrage, pour certaines universités françaises (pas de noms), j'aurais du mal à trouver une seule photo qui ressemble aux photos américaines).

Mais la principale explication de cette débauche budgétaire est à chercher ailleurs, à mon avis. Ce qui frappe le français en visite dans une université américaine, c'est le nombre et la disponibilité du staff non-enseignant. Une brève recherche m'a donné le nombre de professeurs et de supporting staff pour chacune des grandes universités. Je me suis encore basé sur un classement célèbre :

Une explication sur les chiffres : au numérateur, l'ensemble des postes de soutien à la recherche (assistants, ingénieurs, support technique, bibliothécaires, laboratoire, entretien...), tels que donnés par l'université (qui excluent les étudiants employés : donc pas de doctorants, ni de Teaching Assistants, ni de Research Assistants, ni de post-docs). Au dénominateur, l'ensemble des enseignants (professors, associate-professors, assistant-professors et lecturers). Comme précédemment, lorsque l'université est accolée à un grand hôpital, mais donne des chiffres séparés, j'ai pris uniquement les chiffres du campus universitaire proprement dit (Ithaca pour Cornell, Morningside heights pour Columbia, etc). Et j'ai bien évidemment raisonné en "Équivalents Temps-Plein" (c'est plus impressionnant encore avec le nombre d'employés, mais ça ne serait pas honnête). Ma seule exception est l'ETHZ, qui donne un seul chiffre, qui englobe les postes de soutien et les post-docs (d'où un outlier assez visible).

La différence saute aux yeux (vous voyez Paris 6, là bas, sur la droite ?). Ce qui était au départ une impression est confirmé par les chiffres. À noter que le cas d'UCLA, qui m'avait tellement impressionné il n'y a pas si longtemps, est finalement petit joueur en comparaison avec Harvard ou U. Chicago. Pour les Sherlock Holmes parmi nous, remarquez que la seule université américaine en dessous de la parité soutien/faculté, U. Penn., était aussi un outlier en termes de financement : ils dépensent beaucoup plus par étudiant que des universités comparables. L'intuition qui me vient est qu'ils sous-traitent une partie des services, mais que ça n'est apparemment pas rentable.

Le récent conflit des enseignants-chercheurs en France a mis en évidence l'importance des charges administratives dans le travail des universitaires, et leur poids croissant (et contre-productif). Un billet récent de l'excellent Sylvestre Huet nous rappelle une partie de l'origine de ce faible nombre de postes dans les universités françaises : confrontées à une baisse des budgets entre 1993 et 2004, les organismes de recherche et le ministère ont sacrifié des postes d'ingénieur et de technicien pour sauver l'emploi des jeunes docteurs. Cet état d'esprit perdure de nos jours : confrontés à des suppressions de poste dans la recherche en 2009, le ministère a préféré supprimer des postes de soutien que des postes de chercheur, aggravant encore la situation. Ça n'est pas la seule explication, d'ailleurs : on était déjà à un niveau assez bas avant la crise des années 1990.

Sur la montée des charges administratives, je vous recommande un bon rapport sur le travail effectif des enseignants chercheurs, une vraie enquête de sociologie (Sylvia Faure et Charles Soulié, avec Mathias Millet, Enquête exploratoire sur le travail des enseignants-chercheurs. Vers un bouleversement de la “table des valeurs académiques”). Ce rapport date de 2005 mais personne ne semble l'avoir lu en haut lieu. Au passage, je n'arrive pas à retrouver quel blog scientifique m'avait pointé ce rapport en premier. Vous m'aidez?