L'AERES est l'Agence (nouvelle) chargée de l'évaluation de l'ensemble du système de recherche français. Un peu comme le Comité National de la Recherche Scientifique, mais en très différent.

Le CoNRS était chargé de l'évaluation des unités de recherche. On voulait une agence qui évalue l'ensemble du système (écoles, universités, unités de recherche, formations et diplômes). Comme souvent, plutot que de compléter ce qui existe et qui fait presque ce qu'on veut mais pas tout à fait, on a préféré créer un quelque chose d'entièrement nouveau à côté, qui fait plus de choses que le CoNRS, mais qui fait moins bien que lui ce qu'il faisait déja. J'ai de nombreux étudiants en informatique qui font pareil (j'ai besoin d'une librairie de calcul scientifique, mais il n'y en a pas qui ait toutes les fonctionnalités que je veux, alors je vais recoder une librairie de calcul scientifique en partant de zéro...) Mais je m'égare.

L'AERES, donc, est divisée en trois branches. L'une évalue les établissements, l'autre évalue les unités de recherche, et la troisième évalue les formations. Les établissements et les unités de recherche sont évalués par des visites, qui obéissent à la règle de l'unité de lieu : on évalue en même temps tout ce qui se trouve à un endroit donné (universités, laboratoires, formations). Ce qui veut dire que pendant une semaine, le comité de visite enchaine les séminaires et les présentations (visite de l'université de Tlön I, visite de l'université de Tlön II, visite de l'Institut National Polytechnique de Tlön, visite des différents laboratoires...)

Sur le site de l'AERES, vous trouverez les rapports résultant de ces évaluations. Suivant une tradition bien française (mais peu scientifique), vous avez le compte-rendu de l'AERES rédigé à partir des rapports des experts, mais vous n'aurez pas accès aux rapports des experts eux-mêmes. Un peu comme un journal où l'éditeur vous donnerait le résultat, mais pas les reviews. Vachement pratique. L'ANR fonctionne de la même manière, d'ailleurs.

Ce qui n'empêche que ces rapports sont une mine d'information. Qu'il s'agisse des rapports d'évaluation des établissements ou des rapports d'évaluation des laboratoires, on y trouve une description précise, photographique, du système de recherche français. Naturellement, les rapports n'échappent pas à la langue de bois (ou, si vous préférez votre verre à moitié plein, ils font preuve de délicatesse et de diplomatie). Il n'est pas question de dire que telle EA est composée de branleurs qui s'occupent d'un sujet de recherche archaïque et n'ont jamais publié ailleurs que dans leur propre revue (c'est dommage, à mon avis). Mais il est possible de dire que cette EA "est en pleine restructuration", que son directeur "est conscient de l'importance de la tâche" et que les chercheurs publient "surtout dans des vecteurs locaux". Il est aussi possible de donner la proportion de chercheurs non-publiants, parce que ça, c'est un fait, un chiffre. On peut dire : "cette EA n'a que 50 % de chercheurs publiants", ça ne vexe personne, ça reste du domaine factuel. Alors que si on disait : "la moitié des chercheurs de l'EA n'en fout pas une bille", ça serait une opinion. Et vexante, en plus.

Dans de nombreux cas, les chiffres sont donnés, mais sans commentaires permettant de les interpréter. Ainsi, le rapport sur Paris VI mentionne que 70 % des doctorants en Physique ont une bourse "Ministère", contre seulement 13 % des doctorants en Informatique (autrement dit, 87 % des doctorants en Informatique sont financés sur projets, ANR ou Europe). Le rapport ajoute que "ça mérite réflexion", et précise que ça "ne reflète pas leur réussite en matière de formation doctorale et de débouchés". Comprend qui peut. Je crois comprendre que c'est pour dire que l'Université ne donne pas assez de bourses en Informatique, alors que l'Informatique va bien, fait de la bonne recherche, et que les étudiants en Informatique trouvent facilement du boulot, et trop de bourses en Physique, alors que les perspectives d'emploi pour un docteur en Physique sont moins bonnes. Mais je me trompe peut-être.

On observe aussi le phénomène classique du chat de Schrödinger, ou plutôt des Weight Watchers : le fait d'observer un phénomène aboutit à une modification du phénomène. Si je me pèse tous les jours, je vais maigrir. Pas parce que la balance a un effet magique, mais parce que le fait de me peser aboutit à ce que je fasse plus attention à mon alimentation. Si je note sur un papier à quoi j'occupe mon temps, je vais travailler plus et mieux. Si une université (ou un laboratoire) sait que l'AERES va venir l'évaluer, elle commence à mettre en ordre ses affaires.

Parmi les rapports, je vous recommande particulièrement ceux des universités parisiennes : Paris 7, Paris III, Paris VI et ceux des universités nancéiennes : Nancy I, Nancy II, INPL.

En fait, ce qui m'intéresse le plus aujourd'hui, c'est cette petite phrase au détour du rapport sur Paris 7. En parlant des labos de SHS, il est dit :

À l’occasion des rencontres avec les directrices et directeurs des laboratoires et unités de recherches en LSH, il est apparu que rares étaient celles et ceux qui avaient bien perçu le mode de fonctionnement des universités dans le cadre de la LRU et en particulier la manière dont fonctionnerait le budget globalisé pour le financement des équipes de recherche.

Suivi par :

Certaines équipes ont ignoré le comité de visite sans qu’aucune explication ne soit fournie

Traduit de la langue de bois vers le français courant, je crois comprendre que : les laboratoires de Lettres et Sciences Humaines de Paris 7 ne se sentent pas très intégrés à l'Université, ils ont l'impression de n'être là que comme la cinquième roue du carosse, pour assurer les cours d'anglais en 1ère année... Ou que leurs disciplines ne sont pas dans la direction phare de l'université. Je me trompe peut-être. Ou eux. Mais c'est peut-être vrai, aussi. Parce que ça m'a rappelé une autre discipline : l'Informatique. Le problème, c'est que toutes les formations ont besoin de faire des cours d'informatique (comme pour l'anglais, j'imagine ?). Et pour faire des cours, il faut des enseignants. Et voilà comment toutes les universités, même celles qui ne sont spécialisées en lettres, se retrouvent à avoir des Maitres de Conférences en Informatique. Seulement voilà, la composante recherche de leur activité, elle n'est pas tout à fait en accord avec les thématiques scientifiques de leur université. Et donc, ils se sentent mal aimés, eux aussi. Et quand ils doivent négocier avec la direction un équilibre entre recherche et enseignement, la réponse est, en substance : "ce que tu fais en dehors des cours, je m'en fous, tant que tu fais tes cours".

La conclusion à tirer de tout celà, je ne sais pas. Toute université "monocolore" (surtout scientifique, ou surtout littéraire) aura forcément une discipline qui se sentira "mal-aimée". Faut-il, alors, que les grandes universités soient "polychromes" ? Je sais bien que toutes les grandes universités mondiales le sont, et que la France fait, là aussi, figure d'exception avec ses universités scientifiques, placées à côté d'universités littéraires. Et je vois bien l'effet d'isolement quand on est une petite discipline dans une grande université. Mais quelle(s) solution(s) ?