Birka était l'un des comptoirs majeurs de l'époque Viking. Fondée vers 750, la ville servait de point de rencontre, de marché et de comptoir d'échange entre les convois qui venaient de Russie et d'Asie, et ceux qui venaient de la Baltique. Les fouilles archéologiques ont mis au jour des objets en provenance d'Asie, d'Allemagne, du Moyen-Orient... Et puis, vers 950, la cité a péréclité, au point de disparaitre très rapidement. En 1060, un visiteur trouve une île retournée à l'état sauvage, où il ne subsiste plus une seule trace de la grande cité.

Que s'est-il passé ? On manque de traces écrites, personne n'ayant jugé utile de griffoner sur un mur un message du genre : "les envahisseurs arrivent, je quitte la ville" (et les murs ayant de toute façon disparus depuis). Les fouilles montrent que si la ville a subi son lot d'attaques et d'incendie, comme il est de règle pour une cité plutôt riche dans une civilisation plutôt violente, la dernière version des fortifications semblent s'être écroulées d'elles mêmes, sans traces d'incendie (contrairement aux versions 1.0, 1.1, 1.2, 2.0, 2.1...) Même si la datation est délicate, le commerce semble avoir cessé d'abord, puis les habitants sont partis.

L'explication la plus probable est le rebond isostatique. "Le quoi ?" diront mes lecteurs non-géologues ? C'est bien simple. Quand un gros glacier s'installe sur un continent, par exemple pendant une ère glaciaire, sa masse appuie sur le continent, et il l'enfonce (en plus de le raboter, produisant ainsi ces lacs et ces fjords qui font si joli dans le paysage). Une fois que le glacier a fondu, le continent remonte, puisqu'on n'appuie plus dessus. Mais la remontée se fait len-te-ment (c'est visqueux, un continent, vous n'avez pas idée). Environ 5 mm par an, on va dire. C'est très peu, mais, en deux siècles, ça représente un mètre de tirant d'eau perdu. Et c'est ainsi que le bras de mer qui reliait la Baltique à Birka a subitement cessé de devenir navigable... La ville n'étant plus reliée à une route maritime majeure, elle a cessé d'être intéressante.

Pourquoi est-ce que Birka me fascine ? Parce que c'est l'un des rares exemples d'une conséquence visible d'un effet à l'échelle des temps géologiques sur une population humaine. Un effet qui se produit trop lentement pour être observable... finit par être observable à cause d'un effet de seuil (en l'occurence, le tirant d'eau d'un knorr chargé).

J'y pensais en lisant cet article du NY Times (ou, pour être précis, d'un blog lié au NY Times, portant sur les aspects de santé). Un phénomène qui aurait dû se produire de façon trop lente pour être observable s'est accéléré au cours du XXe siècle : entre 1900 et 1970, l'âge des premières règles chez les jeunes filles aux USA et en Europe est passé de 17 ans à 13 ans. Là, il s'agit d'une conséquence observable de l'amélioration du niveau de vie (une nourriture plus saine, moins de maladies...). Observable, mais stupéfiante, notamment par son ampleur.

Tellement que, j'avoue, j'ai des difficultés à imaginer ce que ça pouvait être, la vie d'une adolescente des années 1900, qui passait la quasi-totalité de son adolescence sans avoir ses règles... Un peu comme si on m'expliquait que les adolescents du siècle dernier n'avaient pas de boutons sur la figure.