Quand j'étais en visite à Cornell, j'ai appris deux-trois choses sur les processus de recrutement. Outre la longueur de l'audition, la tenure track, il y a deux-trois détails qui changent la vie.

Par exemple, l'université fait une offre à la personne pressentie. Qui, ensuite, l'accepte ou la refuse. Si elle refuse, l'université contacte le suivant sur la liste, et ainsi de suite. Mais la bonne question, c'est : "qu'est-ce qu'on fait si personne de bon ne se présente cette année là ?". La réponse, immédiate, a été : "dans ce cas là, on ne pourvoit pas le poste, bien sûr." Pour mes interlocuteurs, c'était une évidence. Pour être recruté à Cornell, il faut avoir le niveau (et ils ont une très haute idée d'eux-mêmes). S'il n'y a personne qui a le niveau, on ne prend personne. Et, naturellement, le département d'informatique garde le poste pour l'année d'après. Pas question de le redéployer en physique nucléaire ou en grec ancien.

Corollaire numéro 1 (majeur) : à force, le département a un ensemble de postes à pourvoir (jusqu'à six l'année de mon passage). Ce qui veut dire : pas besoin d'attendre la publication des postes au JO pour pouvoir dire à un candidat intéressant : "viens chez nous, on a un poste pour toi". On est sûrs de ne pas rater un bon candidat "parce qu'on n'a pas réussi à avoir le poste"... Et ça, c'est utile. Ça permet d'être actif dans la recherche de candidats, au lieu d'avoir à dépendre d'une procédure de création de poste un peu longue...

Corollaire numéro 2 (mineur) : avec six postes manquants dans un département, il faut bien se répartir les cours. Et donc qui se retrouve chargé du cours de cryptographie ? Un spécialiste de graphisme. Évidemment, faire cours en dehors de sa spécialité, c'est plus de boulot. Donc lorsqu'arrivera le moment du recrutement, vous croyez qu'il poussera pour qu'on recrute un autre graphiste, ou un crypto pour reprendre le cours ? Hmmm ? (on m'a fait remarquer depuis que c'est exactement la différence entre raisonner par laboratoire ou raisonner par département...)

Vu de l'intérieur, le système avait plein d'avantages : pour l'université, en tout cas, c'est plus facile de recruter le meilleur, en jouant sur les deux variables : ouvrir un poste dès que c'est nécessaire (s'il y a un bon candidat qui est "libre"), ne pas le pourvoir s'il n'y a pas de bons candidats. Pour les candidats, j'avais aussi vu les côtés positifs : 1) savoir qu'il y aura toujours un poste de libre à l'université de son choix, au lieu d'attendre que monsieur X parte à la retraite et 2) être certain qu'on a été recruté pour sa valeur intrinsèque, et pas parce qu'on était le dernier sur la liste d'attente...

Le premier défaut du système m'est apparu en octobre 2009 : en période de restrictions budgétaires, les universités suppriment des postes. Et quel meilleur candidat pour une suppression de poste... qu'un poste qui n'est pas pourvu (comme ça, pas d'entretien de licenciement, pas d'indemnités...). Donc quand le budget baisse, ça ne marche plus.

Le deuxième défaut du système apparait si l'on se place du côté des candidats : l'université n'a aucun intérêt à prendre des risques. Autant faire une offre au meilleur candidat sur le marché, voir s'il se décide, passer au deuxième meilleur candidat, etc... Le tout en prenant bien son temps. Au pire, on risque que tous les bons candidats aient trouvé ailleurs, et de se retrouver avec un poste non pourvu (ce qui n'a pas que des inconvénients, on l'a vu). Donc on a un système qui est, certes, fluide, mais où la fluidité ne concerne que les meilleurs éléments (pour les autres, c'est plutot figé). La crise a eu, là aussi, un effet bénéfique (en plus d'avoir eu l'effet néfaste de supprimer tous les postes) : là où il reste un poste, on va l'attribuer cette année. Pas question de le laisser non pourvu (parce que là, c'est sur, on le perd). Moins de places libres, mais elles cherchent plus à se remplir.

Il doit y avoir une analogie à base de cristaux, mais laquelle ?

Un billet d'ISP couvre le même sujet.