Ce billet fait suite à plusieurs autres, dans la série "Tensions sur le marché de l'emploi universitaire".

Il s'agit de la date de soutenance des MCF recrutés en 2008, telle que donnée par le rapport du ministère. C'est un indicateur imparfait, mais un indicateur tout de même, de la galère des jeunes docteurs à la recherche de leur premier emploi. Si les docteurs doivent enchaîner 3, 4 ans de post-doc avant d'être recrutés, ça va se voir sur la courbe.

Comme dans ce précédent billet, j'ai regroupé les sections CNU par grandes disciplines (Histoire-Géo, Biologie, etc). Voici un premier groupe de disciplines :

En gros, dans ces disciplines, ce sont d'abord les jeunes docteurs qui sont recrutés (ceux qui viennent de soutenir), puis ceux qui ont soutenu il y a un an, et ainsi de suite.

A contrario, voici un deuxième groupe de disciplines :

On y voit que les jeunes doctorants sont moins nombreux à être recrutés que les docteurs plus un, deux, trois ans... Si on regarde bien, en biologie, les docteurs depuis 3 ans et depuis 4 ans sont plus nombreux parmi les recrutés que les docteurs de l'année.

La différence entre corrélation et causalité, on la connait tous. Autrement dit : si les MCF en informatique (sciences pour l'ingénieur, économie...) ont soutenu leur thèse depuis mois d'un an en grande majorité, ça peut être, au choix :

  1. parce que les CS ont un fort biais anti-vieux, et ne recrutent que des jeunes docteurs.
  2. (variante :) parce que la discipline évolue très vite, et qu'un docteur qui a soutenu il y a 3 ans n'est plus au top.
  3. parce que les docteurs trouvent sans mal à se caser ailleurs, et arrêtent de candidater, parce qu'entre un boulot payé whatmille brouzoufs dans une boite de production de jeux vidéo (électronique, satellites, pharmacie...) et se taper des candidatures dans des universités glauques avec un comité de sélection hargneux, faut pas déconner, merci bien.
  4. parce que le nombre de docteurs qualifiés est égal au nombre de places disponibles.
  5. parce qu'il n'y a pas de post-doc disponibles.
  6. parce que les docteurs dans ces disciplines se découragent plus vite.

Dans l'autre sens, si des disciplines recrutent plus de docteurs avec deux, trois, quatre ans de post-doc, ça peut être :

  1. parce qu'il y a une forte tension, et trop de candidats par rapport au nombre de postes,
  2. parce qu'on ne trouve pas du boulot ailleurs,
  3. parce que la vie de post-doc, c'est trop cool,
  4. parce que le post-doc permet de booster sa liste des publis,
  5. parce que les CS sont sérieux et ne recrutent que des candidats ayant une expérience de la recherche dans un pays étranger.

Laquelle de ces explications est vraie ? Lesquelles sont fausses ?

Pour re-situer les chiffres, il y a entre 2 et 5 qualifiés par poste dans les disciplines du premier tableau (donc entre 5 et 17 candidats possibles par poste, la qualification étant valable 4 ans). Il y a entre 6 et 7,5 qualifiés par poste dans les disciplines du deuxième tableau, donc entre 20 et 30 candidats par poste. Autrement dit, il n'y a pas une grosse différence en terme de nombres de candidats par poste. L'explication par le nombre de candidats n'est pas valable.

Les explications sur le biais anti-vieux et la discipline qui évolue trop vite, j'étais prêt à les accepter s'agissant de l'informatique. Mais pour le droit, par exemple, je suis sceptique. Le découragement... possible. Peut-être que les études de biologie sont tellement difficiles qu'elles introduisent un biais de sélection, et que ceux qui ont passé le doctorat sont des sur-hommes, sur-entrainés à tout et capable de résister à la rudesse du recrutement français... Il y a du vrai. Je veux bien croire qu'un doctorat en Biologie soit plus difficile qu'un doctorat en Informatique. Mais j'ai du mal à le croire d'un doctorat en Droit. Alors...

Ce qui me trouble le plus, c'est qu'il y ait une différence si fondamentale entre la pharmacie et la biologie.

Alors... quand je regarde la liste des disciplines du premier tableau (droit, informatique, économie, sciences pour l'ingénieur et pharmacie), et que je cherche ce qu'elles ont en commun, je me dis que j'ai moins de mal à imaginer des docteurs diplomés dans ces disciplines travaillant en entreprise. Je ne dis pas qu'on ne trouve pas de docteurs en astrophysique en entreprise, je dis que ça me demande un effort d'imagination plus grand que pour un docteur en droit ou en informatique. Et comme les recrutants français ont très peu d'imagination (...), il est possible, effectivement, que les docteurs des disciplines du premier tableau se soient "casés" plus vite que ceux du deuxième tableau, et qu'ils arrêtent de chercher dans la recherche publique, ayant trouvé leur bonheur dans le privé.

Au fait, et les disciplines littéraires ? Voilà :

Des courbes différentes, et c'est plus difficile à analyser. Je sais que nombre de doctorants en LSH sont également pourvus de l'agrégation, et donc retournent enseigner en lycée. Je sais aussi que dans certaines universités, les doctorants en lettres n'ont pas de bourses de thèse, ce qui veut dire qu'ils ont un autre boulot... Il va me falloir des informations de l'intérieur.

Hein ? Quoi ? et les autres disciplines ? On peut difficilement tirer des conclusions, tant on a affaire à des petits nombres. L'Anthropologie a recruté un total grandiose de 6 personnes en 2008... La Psychologie, les Sciences de l'Éducation et les SIC semblent avoir un comportement plutôt plus proche du premier groupe (docteurs recrutés surtout jeunes).