Comme le savent ceux qui suivent les affaires politiques dans la Terre des Libres et Maison des Braves, l'état de Californie a des problèmes financiers.

La source des problèmes elle même provient de la collision de deux politiques irresponsables, d'un côté des élus qui ont fait des promesses intenables financièrement, de l'autre des élus (pas les mêmes) qui ont rendu quasi impossible toute hausse d'impôts (il faut, soit une majorité des 2/3 dans les deux chambres, soit une majorité simple dans un référendum populaire... bon courage dans les deux cas).

Cette crise budgétaire n'est pas sans précédents. Je me souviens qu'en 1992, déjà, l'état de Californie distribuait des reconnaissances de dettes. Mais elle est sans précédents dans l'histoire récente, on va dire.

L'une des conséquences de cette crise, c'est que l'ensemble du système d'universités gérés par l'état est en crise : plus d'argent pour payer les professeurs, le staff, etc. La même crise qu'à Harvard/Yale, si vous voulez, mais du côté public.

Ce qui est l'occasion de se repencher sur ce système magnifique qu'est l'University of California. La partie la plus connue, c'est, justement, University of California et ses 10 campus (Berkeley, UCLA, UCSD, UCSF, UCSB, Irvine, UC Davis...) 10 campus, dont 7 figurent parmi les 50 meilleures universités mondiales. Sept. Une sur sept des 50 meilleures universités mondiales est une University of California. Je suis empli de respect devant la réussite collective. La meilleure, UC Berkeley, occupe la troisième place au classement mondial, et donc la place de meilleure université publique, après Harvard et Stanford, devant le MIT. Juste pour vous dire qu'on ne parle pas de petits joueurs sur le plan scientifique, mais de gens qui produisent plus de science, et de meilleure qualité, chaque année, chacun, que moi en dix ans.

Mais le système d'enseignement supérieur en Californie, ça n'est pas juste les 10 campus prestigieux (et ô combien prestigieux). C'est un système à trois étages, en fait, avec : University of California au sommet (10 campus, 200 000 étudiants), California State University au milieu (23 campus, 400 000 étudiants), et California Community College en bas (72 colleges, 2,5 millions d'étudiants). L'ensemble est organisé et pensé par le California Master Plan, depuis 1960. Les passerelles existent entre les trois étages, et le système permet à la fois d'acquérir une formation professionnelle (Community College), en général à peu de frais, et d'acquérir une formation scientifique de haut niveau (University of California).

Un éditorial de Bob Herbert, dans le NY Times, vient rappeler quelques uns des succès de l'University of California, et en particulier de Berkeley. Il y a d'abord le fait que les undergrads (ceux qui ont fait leur 4 premières années à Berkeley) sont plus nombreux à obtenir une thèse que dans n'importe quelle autre université américaine.

Traduction : soit ils ont eu une éducation qui soulignait l'importance de la recherche et de la science, soit ils n'ont pas été obligés d'aller prendre un job lucratif à Wall Street pour payer leurs frais d'inscription. Sans doute un peu des deux.

Mais il y a surtout le paragraphe du bas, qui me fait frissonner de respect (mêlé de crainte) : un tiers des étudiants (undergrads, toujours) ont une Pell Federal Grant. Des boursiers, quoi. Ce qui veut dire, d'une part qu'ils sont très bons (c'est une bourse au mérite) et d'autre part qu'ils viennent d'une famille pauvre (c'est une bourse sous conditions de ressource). Pauvre à quel point ? moins de 45 000 $ par an de revenu familial. Gasp. Ça fait pas beaucoup. Pour resituer, une famille française dont les deux parents travaillent et gagnent le SMIC dépasserait ce plafond.

Un tiers de boursiers, donc, et de boursiers en provenance du bas de l'échelle sociale, donc. Rien qu'avec ça, je suis à nouveau empli de respect pour University of California. Le même respect que j'avais devant leur production scientifique, je l'ai cette fois-ci devant leur production sociale.

Mieux : un sixième des étudiants (undergrads, toujours), soit 4000 d'entre eux, vient d'une famille gagnant moins de 20 000 $ par an. Soit moins d'un SMIC français par mois. Et un tiers des étudiants sont les premiers de leur famille à aller dans un "Four Year College", dans une grande université, quoi.

Vu à cette échelle, les disputes françaises sur le système de formation et de recherche prennent un sacré coup de vieux. Et même notre ministre, se félicitant d'avoir 30 % de boursiers en classe prépa, a l'air un peu dépassée... 30 % de boursiers en prépa ? Berkeley en est à 33 % de boursiers à l'école elle même... Et le tout sans sacrifier ni la formation des étudiants, ni la production scientifique.

Voilà. Je suis empli de respect et d'admiration. Quelque part, l'université idéale existe.