Le 10 septembre 1989, le ministre des affaires étrangères de Hongrie, Gyula Horn, déclare qu'il ouvrira la frontière vers l'Autriche à tous les réfugiés est-allemands présent sur le sol hongrois, avec prise d'effet à minuit. Il s'agit, sur le plan technique, d'une "mesure temporaire", destinée à "résoudre le problème des réfugiés", dont "la situation est devenue intenable".


L'interview de Gyulya Horn, retransmise par la télévision Allemande (ARD, journal du 10/09/1989)

Ceux qui ne parlent pas l'allemand (comme moi, d'ailleurs) pourront jouer à chercher les mots clef dans la traduction de la déclaration de Horn: DDR Burgen (citoyens de la RDA), Grenze (frontière), temporarische, suspendiert, Flüchtlinge (réfugiés), Rotkreuz (croix-rouge)...

Les Allemands de l'Est présents en Hongrie (dans des camps de vacance sur les rives du Balaton, ou à Budapest) savaient qu'il y allait avoir une annonce particulièrement importante les concernant à la radio ce jour là (et quelle autre "annonce importante" pouvait-il y avoir, à part l'ouverture de la frontière ?) À 6h du soir, ils sont très nombreux à écouter le journal, et sitôt l'annonce officielle, ils se précipitent dans leurs voitures, puis vers la frontière. Selon un journaliste témoin, en à peine un quart d'heure, le camp était vide...

Une longue file de voiture "DDR" roule maintenant vers la frontière, en ligne, à la vitesse limite, sans que personne ne double. Notre journaliste remonte toute la file (heureusement que les routes hongroises sont désertes à cette heure là) et file vers le poste frontière. Les douaniers le pressent de questions (combien de voitures arrivent ? à quelle distance sont-elles ?) et ils attendent. À minuit pile, la longue file de voitures arrive, klaxons à fond et appels de phare. Ceux là tiennent à partir avec classe.

À 0h01, les premières voitures passent la frontière avec l'Autriche. Les douaniers laissent passer, sans rien contrôler. Côté Autrichien, les Allemands de l'Est sont chaleureusement accueillis, avec Glühwein. La Croix Rouge prend en charge ceux qui en ont besoin, pour les convoyer d'abord vers Vienne, puis vers l'Allemagne de l'Ouest. Plus de 12 000 allemands seraient passés dans la seule journée du 11 septembre, et plus de 60 000 au total.


Les réfugiés est-allemands passent la frontière (ARD, journal du 11/09/1989)

(cette fois, pas besoin de comprendre l'allemand pour suivre le journal d'ARD, les images et les gestes parlent d'eux mêmes. Notez aussi que les premières images passent avant l'annonce des titres (mais après le logo du journal), signe du côté historique de la journée).

Plus intéressant, selon ce que rapporte notre témoin, plusieurs piétons apparaissent aussi, avec sac à dos et affaires de camping, et passent également la frontière. Apparemment, ils campaient à proximité de la frontière, en attendant le moment, l'ouverture.

La journée du 19 août avait, brièvement, constitué le record du nombre de passages vers l'Ouest en une seule journée (avec 661 réfugiés). La journée du 11 septembre explose largement ce record. En Allemagne de l'Ouest, l'émotion (et surtout la joie) domine. Si on regarde le journal d'ARD du 11/09, on voit que l'Allemagne de l'Ouest s'était préparée à l'afflux de réfugiés : camps d'accueil, formalités accélérées (et fonctionnaires préparés). Clairement, la décision du gouvernement hongrois n'était pas une surprise pour Bonn, et peut-être même que Bonn avait demandé à Budapest de reculer un peu l'ouverture de la frontière pour avoir le temps de se préparer à accueillir autant de monde...

La journée du 11 septembre marque aussi la fin des révolutions discrètes en Europe. Jusqu'ici, on avait eu affaire à des petits pas, discrets. Chacun d'eux était certes révolutionnaire au regard de la situation antérieure, mais quand même n'attirant pas trop l'attention, et surtout sans conséquences irréversibles. À tel point que même quelqu'un suivant particulièrement les nouvelles internationales pouvait être passé à côté des changements en Europe de l'Est (chaque changement avait fait genre trois lignes dans les journaux français). Avec 12 000 réfugiés en une seule journée, on sort de la politique "discrète et n'attirant pas l'attention". Comme on l'a vu, le gouvernement hongrois n'avait guère le choix, mais il l'a quand même fait. Et en le faisant, il a jeté un énorme pavé dans la mare politique d'Europe de l'Est. À partir de maintenant, tout va s'accélérer...

Bibliographie :