On l'a vu au précédent billet, le recrutement en France des enseignants doit passer par un concours national, avec des épreuves organisées nationalement (un seul oral, par exemple).

En fait, j'ai simplifié à outrance (et JF m'avait corrigé). Il n'y a pas un concours de recrutement, mais trois. Un pour le primaire, et deux pour l'enseignement secondaire : le CAPES et l'Agrégation.

Pour simplifier, avant la réforme, il fallait un L3 pour candidater au CAPES, et un M1 pour candidater à l'agrégation.

L'existence même de deux concours de recrutement (et surtout du deuxième, l'agrégation) est l'un des "éléphants dans la pièce" de cette réforme. Tout le monde sait qu'il est là, tout le monde le voit, personne n'en parle. Ni le Ministère, ni les enseignants chargés d'implémenter la réforme, ni les étudiants.

La question de savoir pourquoi il faut deux concours de recrutement pour des gens qui feront, in fine, la même chose est une question ouverte. Mais comme l'existence des deux concours est ancienne, presque aussi ancienne que l'enseignement secondaire en France, ils sont intouchables. Certains esprits chagrins diraient que, tant qu'à faire une réforme impopulaire pour des raisons purement économiques, on aurait pu supprimer l'agrégation... Seulement voilà, beaucoup d'agrégés tiennent à conserver le concours d'agrégation. En particulier la Société des Agrégés, qui est assez efficace comme lobby.

Pourquoi l'existence de ces deux concours a-t-elle une importance ? Ou, pour être précis, qu'est-ce que le deuxième concours (l'agrégation) change et dont personne ne veut parler ? Réponse : dans de nombreuses matières le programme du CAPES et celui de l'Agrégation sont identiques. Ainsi, les élèves qui passeront le CAPES d'Histoire-Géo auront des épreuves portant sur "l'histoire de Rome de -197 à 192", sur "le monde britannique de 1815 à 1914" et en Géographie sur "l'Europe". Ceux qui passeront l'agrégation d'Histoire auront des épreuves portant sur les mêmes questions, plus des épreuves sur "Pouvoirs, Église et société dans les royaumes de France, de Bourgogne et de Germanie de 888 aux premières années du XIIème siècle" et sur "Les affrontements religieux en Europe du début du XVIème siècle au milieu du XVIIème siècle".

Le CAPES étant un concours très sélectif, il est utile d'avoir une bonne préparation, donc de bons cours portant sur le programme du concours. Et les meilleurs cours sur le programme du CAPES sont... les cours dispensés dans les préparations à l'agrégation. Voilà pourquoi de nombreux étudiants attendent d'avoir un M1, puis vont s'inscrire dans une préparation à l'agrégation, avec l'objectif de passer soit le CAPES, soit l'Agreg, soit les deux. Ce qui explique que la moitié des reçus au CAPES sont déjà titulaires d'un M1.

Qu'est-ce que la réforme en cours changera dans ce système ? Les critères pour s'inscrire au CAPES viennent de remonter d'un cran : il faut désormais être titulaire d'un M1 pour s'inscrire au CAPES. Comme l'Agrégation ne peut pas être à égalité avec le CAPES, l'Agrégation va également monter d'un cran : il faudra être titulaire d'un M2 pour s'inscrire à l'Agrégation (avec des problèmes évidents pour ceux qui vont rater l'agrégation juste l'année de la transition, et qui ne pourront donc pas redoubler l'agrégation, puisqu'ils n'auront pas un M2. Gag hilarant, mais on ne fait pas d'omelettes sans casser des oeufs...).

À supposer que la structure des concours ne change pas trop, ni leur sélectivité, l'attitude générale des étudiants devrait être la même que par le passé, mais décalée d'une année vers le haut : les étudiants feront un Master complet (sans que la dominante "enseignement" y soit nécessaire, ni même utile) puis iront s'inscrire dans une préparation à l'agrégation, avec pour objectif de passer soit le CAPES, soit l'Agrégation, soit les deux...

Pourquoi personne n'en parle ?

C'est, à mon humble avis, une bonne question.

Le Ministère a plusieurs raisons de ne pas parler de l'Agrégation : d'une part, ça viendrait compliquer encore un discours qui l'est déjà pas mal. D'autre part, ça les obligerait à reconnaitre que, en pratique, la majorité des enseignants recrutés le sont déjà à Bac+5... Ce qui les laisserait exposés à une critique du style : "mais alors, votre réforme est inutile ?"

D'autre part, tout le monde est assez embarassé par le fait que la pratique (les étudiants passe le concours à Bac+5) est en décalage avec les textes (Capes à Bac+4, Agrèg à Bac+5). Même si tout le monde le sait, personne n'est prêt à le reconnaitre officiellement... Ça obligerait à se poser un tas de questions gênantes, du style "mais pourquoi on a besoin de deux concours, alors ?", ou encore "mais alors la réforme peut se faire sans difficultés ?".

Mais il y a aussi d'autres questions dont personne ne veut parler : certaines versions de la réforme prévoyaient qu'il fallait impérativement être inscrit en M2 pour pouvoir passer le concours. Ce qui excluait la pratique existante de préparation jointe CAPES+Agrégation, si pratique pour les étudiants (et les universités). Et qui posait plein de problèmes en matière de redoublement... Je ne sais pas où on en est maintenant, personne ne sait où on en est d'ailleurs, la dernière version de la réforme est muette sur le sujet. On attend la prochaine circulaire sur le sujet pour y voir plus clair.