Complétons nos données avec la page web du ministère sur les concours.

On y apprend que :

  • pour s'inscrire au CAPES, il faudra au moins un M1 validé, ou bien être dans une situation qui aurait permis l'inscription au CAPES cette année.
  • pour s'inscrire à l'Agrégation en 2010, il faudra au moins un M2 validé. Pas de mesures de transition pour l'Agrégation.

Rien n'oblige à passer le concours l'année du M2, mais l'obtention d'un M2 complet est nécessaire pour que le CAPES soit validé. Pas d'informations sur un délai pour l'obtention du M2, donc il faut absolument avoir le M2 avant les résultats du CAPES.

On est donc bien dans la situation que j'évoquais dans mon billet : le point faible est le concours, le point requis est le M2. Dans ces conditions, la route "sans risques" pour les étudiants consiste à suivre un M2 "normal", puis une préparation au concours l'année suivante. La préparation sera commune CAPES-Agrégation, après le M2, comme c'est déjà le cas actuellement.

On aura fait tout ce tintouin pour décaler d'un an la procédure actuelle. En supposant que les étudiants me suivent (mais jusqu'ici, je ne me suis pas trop trompé dans mes prévisions, s'pas...) on peut déjà deviner les gagnants et les perdants :

Les perdants :

  • Les Master Enseignement, du point de vue des étudiants. À quoi bon faire un Master spécial, alors que la sagesse (et l'agrégation...) incitent à faire un Master standard, avec une petite chance de décrocher une bourse de thèse, puis à passer les concours une fois que le Master est assuré. Ou à tenter de valoriser son Master sur le marché du travail avant de s'inscrire en préparation aux concours.
  • Les Master Enseignement, du point de vue des universités. Comme rien dans les faits ne conditionne la réussite aux concours au fait d'avoir suivi un Master "Enseignement", je ne vois pas pourquoi les universitaires, qui sont débordés, iraient bouleverser leur programme de travail pour mettre au point les maquettes de Master qui ne serviront à rien, avec en plus le risque que ces maquettes soient refusées par l'AERES. Le tout dans un temps très court. Donc le Master "Enseignement" risque fort d'être mort-né.
  • Les pédagogues, et ceux qui faisaient cours en IUFM. Pour la raison symétrique : on n'a plus besoin d'eux, on peut garder les Master actuels, et focaliser sur la formation disciplinaire.

Les gagnants :

  • Les Ecoles Doctorales, et les équipes de recherche. Elles vont y gagner un flux d'étudiants motivés en M2, et mieux intégrés dans le cursus universitaire. Et ces étudiants, s'ils sont brillants, se verront proposer une bourse de thèse (MENRT, ANR, etc), et pourront continuer en thèse au lieu de partir dans l'enseignement secondaire.
  • Les étudiants en Master (tous). Actuellement, l'offre de Master est souvent pléthorique, chaque vieux professeur estimant que c'est son "droit" d'avoir "son" module de Master, sans considération de l'intérêt pour les étudiants. Avec une augmentation des publics en Master, on va probablement assister à une rationnalisation des formations en Master, la disparition des modules obsolètes (ceux de mes collègues :-)) et le renforcement des modules modernes (les miens :-)).

Gagnant ou perdant ? les Ecoles Normales Supérieures

Il reste à discuter la question des ENS. Vous pourrez me dire qu'on s'en fiche, que ça ne concerne que 2000 étudiants par promotion, toutes ENS confondues, que c'est négligeable par rapport aux 200 000 étudiants, etc. Et vous auriez sans doute raison.

Seulement voilà. Les ENS et l'Agrégation sont fortement liées. Jusqu'ici, la meilleure formation à l'Agrégation était donnée dans les ENS. Mais pas seulement aux normaliens, puisque la formation était ouverte, sur dossier, à des candidats extérieurs. Ces extérieurs pouvaient représenter jusqu'à 50 % des candidats formés par les ENS. Les rapports de concours ne distinguent pas entre les différents candidats formés par les ENS (normaliens ou auditeur libre), le jury ne connaissant que l'emplacement de la formation à l'agrégation. Ces rapports de concours nous disent cependant qu'environ 40 % des candidats reçus à l'agrégation ont suivi une formation dans une ENS. Les taux de réussite de ces préparations vont jusqu'à 90 %, dans un concours où la moyenne est de 10 %.

Vous m'avez suivi jusqu'ici ? Bien. La scolarité dans une ENS est de 4 ans. Chaque année, les étudiants doivent suivre (et obtenir) un diplome universitaire (L3, M1, M2...). La sanction en cas d'échec au diplome est redoutable : une année de redoublement, sans salaire, jusqu'à l'obtention du diplome. Actuellement, la scolarité est organisée en : L3, M1, Agrégation, M2. J'ajoute que, les normaliens étant plutot travailleurs, l'année de redoublement pour non-obtention du diplome se produit plus souvent pour l'Agrégation.

La réforme impose de changer l'ordre des années : L3, M1, M2, Agrégation, forcément.

  • Premier problème : comment prendre une année de congé pour repasser l'Agrégation (si on l'a ratée), alors qu'on est arrivé à la fin de la scolarité ? Vous me direz qu'on s'en fiche, on n'a qu'à le laisser partir, mais quand même, ça pose un problème.
  • Deuxième problème : la transition. Les élèves qui vont rater l'agrégation cette année ne pourront pas la repasser l'an prochain, mais seulement dans deux ans (le temps qu'ils obtiennent un M2).
  • Troisième problème : la coupure entre le M2 et le début de la thèse. Pas forcément pratique pour se maintenir au courant de la recherche.

Pour toutes ces raisons, les directeurs des ENS penchent actuellement pour la solution suivante : ne plus imposer aux normaliens de passer l'agrégation et ne plus préparer personne à l'agrégation, avec effet à la rentrée 2010. L'effet sur le concours d'agrégation serait radical. C'est l'équivalent de Louis-Le-Grand et Henri IV fermant leurs classes prépas : la sociologie des reçus au concours serait changée.

Je ne sais pas si on peut classer les ENS dans les perdants ou les gagnants de la réforme. C'est clairement un dommage collatéral, tout le monde au ministère se fiche de ce qui se passe dans les ENS. Je ne suis pas de ceux qui pensent qu'avoir l'agrégation soit un avantage, donc je considèrerais plutôt le fait de ne pas avoir à perdre un an pour préparer l'agrégation comme un gain. D'un autre côté, l'agrégation fournissait un avantage compétitif dans les recrutements de Maitres de Conférence, pour certaines disciplines. Les Comités de Sélection s'adapteront-ils ?