Le rapport Aghion

Par Nicolas Holzschuch, mardi 26 janvier 2010 à 21:37 :: Université :: #239 :: rss

(brève note de lecture)

P. Dubois a réussi à se procurer le rapport de Philippe Aghion, professeur à Harvard et chargé par la ministre de la Recherche d'une "mission sur l'analyse des systèmes d'enseignement supérieur et de recherche".

C'est un rapport très intéressant. Un certain nombre de choses (sur la taille ou les moyens des grandes universités) ont déjà été évoquées ici, mais il y a beaucoup d'autres choses dans ce rapport, notamment sur la gouvernance et l'autonomie. Une grande partie du rapport pourrait s'intituler : "je vais expliquer les grandes universités de recherche à des gens qui n'en ont jamais vu"...

C'est un point sur lequel je le rejoins largement : le débat en France est biaisé par le fait que les deux côtés ne savent pas ce qu'est une grande université de recherche, et qu'ils en font un monstre sur lequel ils projettent tous leurs fantasmes. Démystifier, expliquer, c'est essentiel. Donner des faits, aussi.

Le message central du rapport, c'est la nécessité d'un tryptique : moyens-autonomie-incitation. Je vous le refais en shorter : l'autonomie sans les moyens, c'est le clochard. L'autonomie et les moyens sans incitations, c'est ~~n'importe quoi~~ de l'argent jeté par les fenêtres. L'incitation sans autonomie ni moyens, c'est aberrant.

Bref, allez le lire, et profitez en bien.

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Commentaires

1. Le mardi 26 janvier 2010 à 23:10, par N. Holzschuch

Update : le rapport est disponible sur le site du Ministère : http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid50415/autonomie-moyens-et-incitation-les-trois-leviers-de-l-excellence-universitaire.html

(mais la page web associée montre ce que la ministre a compris du rapport, ce qui n'est pas tout à fait ce que j'avais compris...)

2. Le mercredi 27 janvier 2010 à 09:39, par JF

Tu peux aussi rajouter à ton shorter que les moyens sans incitations, c'est de l'argent jeté par les fenêtres...

3. Le mercredi 27 janvier 2010 à 10:20, par N. Holzschuch

Merci JF ! Exactement la formule que je cherchais. J'ai corrigé le billet avec (si tu me permets ?)

4. Le mercredi 27 janvier 2010 à 16:13, par John

Salut a tous Merci pour les miens :-)

Mon sentiment :

Ouais bof, ca veut dire quoi l'incitation ? En nov langue managériale c'est peut etre l'idée que seul une petite minorité des projets se doivent d'etre sélectionné et financé que la grande majorité doit etre retoquée ? C'est bien ça ? Alors je propose qu'on arrette les faux-semblants et qu'on appelle un chat...un chat : exacerber la compétition entre les équipes en créant une science d'élite et une science de seconde zone. Désolé mais je peux pas adhérer a ça. Que tout le monde ne puisse pas etre bien financé ou avoir un poste fixe... je l'accepte, le gateau ne sera jamais assez gros pour tout le monde. Mais là où la ligne jaune est dépassée c'est quand on m'explique que mon voisin dans le labo d'a coté c'est l'enemi, il faut que je sois meilleur, plus performant, pour au prochain appel d'offre pouvoir obtenir un financement qu'il n'aura pas. On est en plein dans une idéologie libérale où les règles, la morale, l'étique s'éfface au titre qu'il faut etre sans arret "exellent" comme seul critère pour exister dans cette baston permanente. On commence a voir les dégats de ces pratiques avec tout ces (vieux) postdocs en France qui ne trouve pas d'emplois fixe et qui se trouve balloté (exploité ?) de labo en labo au gré des contrats sans que jamais personne ne se demande moralement si on est pas en train de devenir des mercenaires de la science. Et sur le fond, rien ne dit que la science est meilleure qualitativement avec les incitations (le graphe p14 montre par exemple que la qualité de la science est directement proportionelle aux budgets par étudiants, quelque soit la gouvernance...).

Deuxième objections. Il faut se retenir de rire quand V. Pecresse nous explique que "l'incitation" de l'ANR structure la science en France (je cite). Encore heureux qu'en France on a le CNRS ou l'INSERM qui existe comme véritable structure, je n'imagine pas le boxon bureaucratique si les pratiques de l'ANR se généralisaient ! Tout ceux qui ont candidaté a des appels d'offres comprendront (hein JF :-)))) ). C'est aussi pour ça que j'ai des craintes sur ces histoires d'exellences, de gouvernance, d'incitation. On fait rentrer n'importe quoi sous ces mots...

A+ J

5. Le mercredi 27 janvier 2010 à 16:13, par John

Euh non.... Il faut lire "merci pour LIENS".

(désolé)

A+ J

6. Le jeudi 28 janvier 2010 à 09:54, par N. Holzschuch

C'est la gloire : on est référencés en tête de la newsletter du Monde, "La toile de l'éducation" :

http://abonnes.lemonde.fr/web/newsletter/0,30-0,62-1297251@60-41@45-2,0.html

(et la formule "shorter" est citée intégralement).

7. Le jeudi 28 janvier 2010 à 10:18, par Myriam

T'es fier - et tu peux

8. Le jeudi 28 janvier 2010 à 10:48, par JF

John, "incitation" c'est essentiellement un concept d'économiste. Ca veut dire en gros que les gens doivent avoir des bonnes raisons de faire les choses proprement, parce qu'il n'y a que chez les bisounours que tout le monde il est beau tout le monde il est gentil et qu'on fait les choses par amour du travail bien fait et parce que je sers la science et c'est ma joie. Dans la vraie vie, on agit tous parce qu'on en retire un avantage personnel. Pas forcément pécunier d'ailleurs : si je fais du bon boulot, et que du coup il y a des étudiants qui veulent bosser avec moi, des collègues qui m'invitent à faire du terrain aux quatre coins du monde, ou des invitations à des congrès, le bénéfice que j'en retire n'est pas financier (au contraire, à la limite), c'est une forme de plaisir et de stimulation intellectuelle.

Mais il y a aussi des incitations négatives. Si par exemple l'université A décide, dans un cadre de modulation des services, d'accorder 40 heures de décharge pour un responsable de commission X ou Y, et rien pour une activité de recherche, il y a clairement une forte incitation à ne pas s'investir dans la recherche et beaucoup dans l'administration (et on peut prédire que au bout de quelques années ça va avoir des conséquences, du genre hypertrophie de l'administration et pléthore de comités, parce que tout le monde voudra y être). Si en plus elle accorde des promotions aux directeurs de labo ou aux responsables d'équipe d'enseignement, mais plus difficilement aux gens qui publient; on a clairement en place un système d'incitation qui décourage fortement de faire de la recherche (notez que mon exemple est hypothétique, toute ressemblance avec des situations existantes ou ... etc.). Si l'université B à coté, par contre, accorde systématiquement des décharges aux gens qui publient plus que, par exemple, la moyenne de leur labo; répartit ses crédits type BQR au pro-rata du nombre d'articles; etc., alors il y a une forte incitation à publier, et on peut prédire que les gens vont essayer d'écrire des articles (par contre il est clair que dans ce cas il y a une désincitation à faire autre chose, et que l'enseignement sera possiblement bâclé, dans cette fac).

Dans les "research universities", il y a des incitations fortes à faire de la recherche. En gros, on facilite la vie des gens qui veulent être actifs en recherche. Sans un système incitatif de ce genre, on peut bien inonder de fric les départements, ça ne changera pas grand chose au résultat (ou plutôt, il faudra bien plus de sous pour arriver au même résultat). Si on reprend mes exemples caricaturaux précédents : dans la première université, même si il y a tout l'argent qu'on veut pour faire de la recherche, ça n'attirera que modérément les gens (tu peux bien être un prix Nobel en puissance, avec le système qui est mis en place tu te retrouveras avec 300 heures d'enseignement et tu resteras MC toute ta vie : à quoi bon se fatiguer, il vaut mieux être président du comité Bidule, c'est moins fatiguant !). Dans la seconde en revanche, les moyens seront effectivement utilisés, parce que les gens auront envie de s'en servir.

Je caricature un peu, parce que je ne décris d'incitations que de type "carrièriste" (une promotion, moins de boulot...). Il y a, et c'est heureux, d'autres choses qui nous font bouger (un travail plus intéressant, des raisons familiales...). D'autres part, des incitations c'est par rapport à un résultat voulu : on ne met pas en place le même système si on veut les inciter à faire de la recherche de haut niveau, ou un enseignement excellent, par exemple !

Sinon, pitié, éparge-nous (enfin, moi en tout cas) le couplet sur la concurrence débridée sauvage et libérale. D'abord parce que pour commencer je t'invite à te renseigner sur ce que libéral veut dire (ce n'est pas synonyme de "méchant", contrairement à ce qu'on pourrait croire), mais passons. Plus fondamentalement, parce que compétition ou concurrence, ça ne veut pas dire qu'on considère les gens comme des ennemis. En tant qu'encadrant potentiel, je suis en compétition avec à peu près tous mes collègues pour attirer les bons étudiants. Ca ne veut pas dire que je les considère comme des ennemis, ça reste des collègues; mais en revanche, ça m'incite certainement à proposer des projets de recherche attractifs et attirants pour les étudiants de M ou D -- ce qui au final, bénéficie aux étudiants, qui auront plus de choix, entre des projets plus intéressants. En tant qu'enseignant, les formations où je fais cours sont en compétition avec celles des facs voisines (et comment, dans notre cas !). Ce qui ne veut pas dire que je considère mes voisins Lyonnais ou Clermontois (ou Grenoblois) comme des ennemis (c'est plutôt des copains...); par contre, c'est certainement une incitation (encore une) à essayer de proposer une formation qui donne aux étudiants des raisons de venir chez moi, et pas ailleurs. Et en recherche, je suis en compétition avec plein de gens, avec qui je bois volontiers des canons en congrès. N'empêche que j'essaie quand même de publier les bonnes idées avant eux. C'est comme en sport : on poeut faire du vélo seul, ou avec des copains, mais c'est plus marrant de faire une petite course avec les amis en question, pour animer un peu les choses.

Pour ce qui est des financements de recherche (mais il n'y a pas que ça dans la vie !), à tout prendre je préfère (ou je préfèrerais) ce genre de compétition ouverte et claire, à la situation politicarde à la Française, où sous couvert de "solidarité", de "démocratie", de "décisions en commun", on cache en fait un système où ce qui compte c'est le copinage et l'art politique, les compromis boiteux et la prime à ceux qui sont le mieux connectés.

9. Le jeudi 28 janvier 2010 à 13:45, par John

Salut JF

Merci pour tes explications qui confirment mes craintes sur ce rapport, cette fois je crois qu'on a pas la même analyse :-)

J'ai 2 objections a ce que tu as dis pour poursuivre l'échange :

1) La compétition en France elle existe déjà : tu as décris la compétition pour avoir des étudiants, mais c'est pareil pour avoir un poste, pour avoir des financements (la part des financements récurents a fortement diminué) etc... Donc derrière le mot incitation positive ou négative c'est quand même une façon politiquement correcte de dire que l'on va ajouter une compétition supplémentaire entre les gens pour avoir des décharges, du fric etc... Donc au niveau de la finalité ca revient a supposer que plus il y a de la compétition entre les gens, meilleurs sera la productivité scientifique. J'aimerais bien avoir des arguments qui le montre, car a mon avis, on est plein dans l'idéologie, et l'idéologie libérale (se n'est pas pour rien que ce rapport a été écris par des économistes donc je ne te l'épargnes pas)

2) J'ai quand même enormément de mal a croire que si tu offres des incitations a 10 ou 20% des chercheurs (P44 du rapport), derrière tu ne généres pas un nombre invraissemblable de dérives politiciennes, coup tordus et jeu de réseau. C'est impossible avec de tel taux de sélection de ne faire que de l'évaluation scientifique : c'est a peu pret le taux de sélection pour avoir un poste en France, on sait comment celà se passe :-( Ainsi, le parallèle avec le sport me semble inadapté. Quand 8 sportifs s'alignent sur un 100m on sait qui franchira la ligne et qui sera le vainqueur. En science, le critère pour désigner le gagnant me semble beaucoup plus élusif et beaucoup moins objectif. Et les courreurs de 100m je sais pas si apres la course ils vont boire un coup (?). Faut quand même pas idéaliser la compétition, c'est rarement amical quand on parle de boulot ou de carrières...

En synthèse mon opinion c'est que l'on a besoin d'un certain niveau de compétition et de concurence, en effet celà peut avoir un effet d'émulation (ce que tu dis sur les décharges de cours est vrai), mais je conteste l'idée qu'il y a dans ce rapport que l'on a besoin d'en avoir un surcroit supplémentaire en France. Bref que la finalité c'est d'avoir plus de compétition pour augmenter la productivité du truc (je ne vois pas de démonstrations dans ce rapport !).

A+ J

10. Le jeudi 28 janvier 2010 à 18:52, par N. Holzschuch

John,

c'est impressionnant comme les gens peuvent se focaliser sur un mot, comme "incitations", alors qu'ils commentent une phrase qui insiste sur la nécessité d'un *équilibre* entre trois points, autonomie, moyens et incitations. Les incitations à moyen constant, ça s'appelle "gérer la pénurie", et c'est mal. Mais augmenter les moyens et l'autonomie sans fixer des buts clairs (comme la recherche à l'international, par exemple), c'est une mauvaise idée aussi.

Et quand on commente les réformes, je pense qu'il faudrait faire attention à ne pas idéaliser le système actuel. On ne peut pas vraiment dire du CNRS qu'il est un modèle de transparence, ni d'efficacité... Quand aux financements récurrents, dans ma discipline, ils n'ont pas diminué pour la bonne raison qu'ils n'avaient jamais existé.

Tu prends l'exemple de la sélection pour les postes, et je pense que c'est au contraire un bon exemple qui illustre parfaitement le problème. À l'heure actuelle, il n'y a aucune "incitation" pour un département à choisir un bon chercheur, ni même un bon enseignant. Du coup, tous les candidats se valent, et on peut se permettre de choisir qui on veut, de préférence quelqu'un qu'on aime bien.

La compétition, elle s'opère aussi entre les matières, pas seulement entre les chercheurs. Je pourrais citer le cas de certaines universités françaises où les postes et les moyens vont en priorité à une certaine matière, parce qu'un ancien président de l'université avait eu le Nobel dans cette matière. Et ce, même s'il n'y a plus beaucoup d'étudiants dans cette matière, et que les rares qui y viennent terminent au chômage. L'autonomie et les moyens sans incitations, c'est la liberté pour les universités en question de continuer cette politique suicidaire (et peu respectueuse des étudiants).

11. Le vendredi 29 janvier 2010 à 09:49, par JF

" on est référencés en tête de la newsletter du Monde, "La toile de l'éducation" :"

Et y'a aussi un lien pour les non-abonnés ?

12. Le vendredi 29 janvier 2010 à 10:00, par JF

John, je ne suis en effet pas d'éaccord sur les deux points que tu mentionnes.

Sur le premier point, tu confonds compétition et incitations. On peut avoir l'un sans l'autre. La compétition peut être une forme d'incitation en effet (arriver le premier...), mais on peut être incitatif via plein d'autres outils (je citais des décharges de cours). Tu me diras, dans la mesure où on travaille grosso-modo à moyens constants, on ne peut guère donner à Pierre sans prendre à Paul. Pas faux (encore que). Je pense que c'est le point sur lequel on est le plus en désaccord : si je te suis, tu préfererais qu'on partage équitablement entre tout le monde (les sous, les heures de cours, les bureaux, les emmerdes...); je pense pour ma part que ce genre de saupoudrage ne mène à rien de bon, et qu'il faut au contraire faire un effort pour favoriser les "meilleurs". Je mets des guillemets, parce que "meilleur" en soit ne veut rien dire, c'est meilleur, par rapport à un objectif. Si une université veut se focaliser sur l'enseignement et attirer le plus possible d'étudiants, les "meilleurs" seront les bons enseignants, ce qui cherchent à améliorer leurs cours et à offrir des formations innovantes. Elle n'a que faire de chercheurs de génie (et devrait utiliser ses moyens pour rénover les salles de cours plutôt que payer des spectro de masse). A l'inverse, une université qui veut devenir une référence en recherche utilisera ses crédits pour investir en recherche, et mettra en place un sstème qui favorisera les meilleurs chercheurs (et les moins bons, fussent-ils par ailleurs de remarquables enseignants, seront de facto défavorisés). C'est là que rentre en compte le second point du trypitique, qui est l'autonomie : elle permet, justement, aux universités de faire ce genre de choix stratégiques (bon, en théorie je suppose qu'on pourrait imaginer que c'est le ministère omniscient et bienveillant qui décide que telle ou telle université sera plutôt recherche ou plutôt enseignement, mais à mon avis ça marche mieux si c'est un choix des gens qui y sont !).

Sur ton second point, le problème est justement que dans le système Français, il n'y a pas de compétition (et peu d'autonomie). Les décisions ne sont pas prises en fonction des qualités (des gens recrutés, des projets de recherche, des universités...) mais d'un subtil mélange de rapports de forces politiques et de choix souverains du ministère, mâtinés d'effet de mode et de poids de mandarins locaux, avec un soupçon de négociations et de partage de Yalta. Bref, tu dis être contre la compétition, en citant justement des exemples anti-compétitifs, des exemples d'un système où il n'y a pas de compétition....

13. Le vendredi 29 janvier 2010 à 12:07, par N. Holzschuch

JF: "Et y'a aussi un lien pour les non-abonnés ?"

Sorry, mais non. Apparemment, c'est un des "services plus" que Le Monde réserve à ses abonnés...

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