N'importe quel enseignant ayant eu à la fois des étudiants issus d'un processus de sélection rigoureux (par exemple dans une grande école, voire une très grande école), et des étudiants n'ayant eu aucune sélection (par exemple en L1) vous dira qu'il y a une grande différence entre les deux.

Pour schématiser, les étudiants issus d'une sélection :

  • sont de niveau plus homogène,
  • ont davantage confiance en eux, en leurs capacités à réussir,
  • sont moins nombreux par classe,
  • sont également plus méthodiques dans leur travail,

A contrario, les étudiants sans sélection :

  • sont plus curieux,
  • et pour certains d'entre eux sont plus affamés de connaissance,
  • mais parfois se demandent ce qu'ils font ici (= faible motivation),
  • et sont de niveau très inégal,

Il convient, évidemment, de nuancer certains points. Le côté "niveau plus homogène", par exemple, ne se produit que si la matière enseignée est l'une des matières sur lesquelles porte la sélection (ce qui n'est le cas, évidemment, des matières littéraires en école d'ingénieur, mais aussi, par exemple, de l'informatique...). Le côté "confiance en soi" est lié au caractère préalable de la sélection (par opposition à la sélection par élimination en cours de cursus, qui elle produit plus un effet "syndrome du survivant").

Il n'empêche qu'une sélection préalable rend l'enseignement beaucoup plus agréable pour l'enseignant, en terme de motivation, de confiance en eux, des étudiants.

Mais quel que soient les effets de la sélection, quels que soient les étudiants, chaque professeur a à cœur de se dire qu'il les fait progresser, qu'il leur apporte un petit quelque chose. Un quelque chose qui peut être une vision d'ensemble de la discipline, une méthode de travail, une compréhension des grands problèmes. Ou simplement un excellent cours ; mais chaque professeur espère qu'il a fait progresser ses étudiants.

Et c'est là que le bât blesse, selon moi. Lorsque le président d'une grande école vient expliquer que modifier en quoi que ce soit le concours, c'est diminuer le niveau des étudiants à la sortie de l'école, il vient dire que l'apport des enseignements de son école est nul. Si le niveau des étudiants à la sortie est uniquement déterminé par le niveau des étudiants à l'entrée, alors c'est que les enseignants n'apportent rien aux étudiants. Et ça, comme ancien enseignant dans des grandes écoles, collègue, ami et époux d'enseignants et anciens enseignants dans des grandes écoles, ça me choque.

D'accord, comme je viens de le dire, je suis partial dans cette affaire. Mais tout de même. Ce qui me choque dans cette focalisation sur la sélection, c'est qu'on y oublie totalement l'enseignement dispensé dans les écoles. Ce qu'il apporte aux élèves (ou ce qu'il devrait apporter...). Dans l'ensemble du débat, chaque partie focalise sur la sélection comme un but, une fin en soi, alors qu'elle n'est qu'un outil, destiné à permettre à l'enseignement d'être plus efficace (mais un outil diablement efficace, quand même).

A contrario, dire que la sélection est inutile en entrée, c'est dire que l'enseignement peut être le même indépendamment du niveau des élèves, c'est négliger les questions de motivation ou de taux d'encadrement. Ça me parait un point de vue bien déconnecté de la réalité.

Et dire que c'est pareil d'effectuer la sélection a priori ou a posteriori, comme le font ceux qui disent que la licence est très sélective parce que moins de 30 % des étudiants arrivent au bout, c'est encore négliger ce que l'enseignement apporte aux étudiants. C'est, là encore, voir la sélection comme une fin en soi, et non comme un simple outil. Ce qui, au passage, signifie que je viens de trouver un point commun entre la CGE et SLR...