- Then, behind him, "Hello, lad."
Dudley Smith stepped through flames, dressed in a fire department greatcoat. (...)
- Dud, you came prepared
- Like the boy scouts, lad. And have you a valediction?
(James Ellroy, L.A. Confidential)

Pour ceux qui n'ont pas fait de latin, la valediction, c'est le discours d'adieu (vale).

Dans les lycées américains, la fin de l'année scolaire se termine par un discours d'adieu (valediction), qui est prononcé par le meilleur élève de terminale de l'année. On l'appelle valedictiorian, et c'est un grand honneur. Pas juste le premier de la classe, hein, le meilleur de toutes les terminales. Le premier des premiers de la classe.

Pourquoi je vous parle de ça ? Parce que l'autre jour, en discutant avec un américain, il me dit : "rends-toi compte, Harvard ne peut accueillir au maximum que 9 % des valedictorians".

Il m'a fallu discuter un peu plus pour comprendre l'argumentation, et ce qu'il voulait dire par là. Le fond de la question est : Harvard, c'est la meilleure université. Leur École Polytechnique à eux. Et logiquement, on voudrait permettre aux premiers de la classe d'aller dans la meilleure université. Sauf que ça coince, parce que, justement, même en admettant que Harvard n'embauche que des valedictoriens (ce qu'elle ne fait pas), il resterait encore 91 % de valedictoriens exclus. Je pense qu'il cherchait aussi à illustrer la sélection sévère qui s'effectue à l'entrée.

Au delà de la question de l'orientation scolaire des premiers de la classe, je trouve que c'est une métrique intéressante. Souvent, en comparant les systèmes éducatifs français et américains, on oublie de corriger en fonction de la taille du pays, ou de comment fonctionne le secondaire. Ou simplement on compare juste la pointe de la pyramide (Harvard contre Polytechnique) sans élargir le champ.

Donc mon idée, aujourd'hui, c'est de parler des premiers de la classe, et de voir quelle orientation scolaire s'ouvre à eux. Je trouve qu'on ne s'occupe pas assez de l'avenir scolaire des premiers de la classe (je reconnais que je suis peut-être biaisé sur ce point).

Données d'entrée : le nombre de lycées (18435 High-Schools aux USA, 2626 lycées généraux en France et 1687 lycées professionnels). On suppose un premier de la classe par lycée. Et on suppose que les universités ne recrutent que des premiers de la classe (ce qui, je me répète, n'est pas le cas). Dans ce modèle, où iront tous les premiers de la classe ?

Taille d'une promotion (aux USA)

Mais d'abord, quelle est la taille d'une promo, dans une université américaine. Ben oui, parce qu'on vous dit : il y a 20 000 étudiants à Harvard, et seulement 800 à Polytechnique. Certes, sur le plan factuel, c'est vrai. Mais Harvard héberge quatre promotions simultanément, et Polytechnique seulement deux. Sans compter les grad students. Si on veut éviter de comparer des torchons et des serviettes, on va prendre la taille d'une promo de première année. Ceux qui rentrent. Ce qui nous donne cette figure :

On y voit clairement deux stratégies différentes : l'option "petite promo" et l'option "grosse promo". Forte sélection à l'entrée... ou pas. On voit aussi que lorsque deux universités sont en concurrence directe (parce qu'elles sont du même niveau et s'adressent au même public), elles ont tendance à adopter la même stratégie. Harvard et Stanford ont la même taille de promo à 1 % près. MIT et Columbia à 1,5 % près. Princeton, Yale et Chicago sont encore dans un mouchoir de poche.

Pour revenir à notre première question, que donnent des promos de cette taille quand on les compare aux 18 435 High Schools et aux 3,2 millions de "high-school diplomas" décernés chaque année ?

On voit que l'effectif d'entrée à Harvard correspond effectivement à 9 % du nombre de lycées (ou de valedictorians), et que la plupart des écoles sont au même niveau (environ 9 %), sauf les 4 grandes (3 University of California, et Cornell), aux alentours de 20 %. Ce que ça veut dire, c'est que dans l'hypothèse où toutes ces universités n'embaucheraient que des valedictorians, le dernier trouverait à se caser entre Cornell et UCLA. Ce qui nous donne 11 Universités pour avoir le nombre de lycées, malgré CalTech et ses promos faméliques.

Et en France ?

On peut faire les mêmes calculs et les mêmes courbes pour la France. Ainsi, le nombre d'entrants en 1ère année dans les grandes écoles (avec le caveat que la 1ère année d'école correspond à la 3e année d'étude), ce qui nous donne cette figure :

On y voit tout de suite la différence avec la situation américaine. Alors que là bas la plupart des universités ont la même taille (à peu près) que le leader, sauf quelques unes qui sont plus grandes, là on a la situation où la plupart des écoles sont plus petites que le leader. Et pas qu'un peu plus petites : une majorité de "grandes" écoles se situent entre 100 et 150 entrants. Ou, si vous préférez, entre 1/4 et 1/3 d'une promo de l'X. En rigolant, Polytechnique est quatre fois moins sélective que les Mines de Paris.

Comme diraient les américains, "Wait, what?".

Et si on ramène ces promotions à la population intéressée ? Il y a en France 4313 lycées (dont 2626 lycées généraux, et 1687 lycées professionnels), qui nous donnent 500 000 élèves en terminale (chiffres de 1995), qui passent tous le Bac, dont 140 000 passent le bac S. Pour ceux qui aiment les divisions, ça vous fait environ 53 élèves de Terminale S par lycée général, soit environ deux classes de TS.

Avec cette division, on obtient la figure suivante :

L'effectif d'entrée à Polytechnique correspond environ à 9 % du nombre de valedictorians français. Comme Harvard. Ca doit être une des constantes de l'Univers. Là s'arrête cependant le parallèle. Aucune grande école française ne vient remplir le rôle de l'University of California (ou de Cornell)... Ce qui fait qu'en effectifs cumulés, bien que je sois allé jusqu'à la 17e école, je n'arrive toujours pas à caser mes premiers de la classe.

Pour moi, c'est là qu'est le vrai problème : on a un système basé sur l'excellence... mais qui finit par exclure des gens excellents. En regardant ma courbe, les 10 premières GE peuvent accueillir au maximum 50 % des premiers de la classe...