En ce moment, le monde universitaire bruit de plusieurs luttes, plus ou moins visibles, pour l'Open Access. Tom Roud et David Monniaux se sont fait l'écho de certaines batailles.
J'ai aussi parlé, par le passé, de l'affaire Ke-Sen Huang.
C'est dans ce contexte que je veux saluer l'initiative d'ACM. La puissante Association for Computer Machinery (qui contrôle environ la moitié des publications en Computer Science, l'autre moitié allant à IEEE-CS) permet depuis longtemps aux auteurs de mettre leurs articles en accès libre sur leurs pages personnelles ou institutionnelles, tout en proposant les articles sur sa propre Digital Library. C'est, je crois, ce qu'on appelle une "Green Route" de l'Open Access (encore mieux que la Gold Route).
Mais ACM va encore plus loin avec le service "Author-izer". J'ai testé pour vous, et c'est absolument fantastique. Voici la page web de mes publications avec ACM Author-izer. Pour comparer, voici la page web de mes publications sans ACM Author-izer. La différence est subtile, j'en conviens. Pratiquement toutes mes publications sont accompagnée d'un fichier PDF qui est, suivant la politique des éditeurs, identique à la version publiée ou identique à la version soumise. Ce qu'ajoute ACM Author-izer, c'est la petite icone ACM (le losange bleu, là). Choisissez-en une, et cliquez dessus. Allez-y, essayez.
Vous venez d'accéder au PDF de l'article (ce qui est un peu ce qu'on espérait). Mais, et c'est là qu'est la révolution, pas le PDF de l'article de l'auteur. Non, Monsieur, non. Vous venez d'accéder au PDF de l'article dans la Digital Library d'ACM. Même si vous n'êtes pas membres d'ACM. Est-ce que vous voyez l'importance du changement ? L'auteur de l'article, d'un simple geste, peut autoriser tout le monde à accéder à ses articles dans l'ACM Digital Library. La version finale. Sur le site de l'éditeur.
Monsieur ACM, je vous salue et je vous félicite. Messieurs les autres éditeurs, vous voyez ce qu'il vous reste à faire.
]]>Le classement de l'Expansion donne les mêmes informations pour les Écoles de Commerce :
On retrouve le même comportement : des écoles qui semblent sous-évaluées (ou sur-évaluées) par les recruteurs, et une inversion de la hiérarchie après 3 ans.
]]>L'Expansion a mis en ligne un classement des Grandes Écoles en fonction des salaires. Salaires à l'embauche, salaire médian après 3 ans, et revenu total (salaires + primes) (médian aussi, j'imagine) après 3 ans.
On peut même comparer le salaire à l'embauche (une fourchette, du genre entre 32 000 et 35 000 euros) et le revenu médian après 3 ans. Voici ce que ça donne pour les Écoles d'Ingénieur.
Qu'est-ce qu'on voit sur cette image ?
D'une part, que les recruteurs ont visiblement une hiérarchie simple des Écoles, avec une grille de salaires à l'embauche répartie en quelques catégories (j'en vois 5). Cette grille, pour moi, c'est représentatif de la réputation des écoles (dans le premier groupe, par exemple, on trouve l'X, les Ponts, Centrale, les Mines, Télécom Paris, l'ENSTA, SupAéro et l'Agro).
D'autre part, on voit que 3 ans après l'embauche, les revenus ont fortement évolué, au point de remettre en cause la hiérarchie des grilles d'embauche. Certaines écoles du 2e groupe passent devant des écoles du 1er groupe (typiquement, Télécom Paris, l'ENSTA et SupAéro se font distancer, sans parler de l'Agro). La question que je me pose est : "quelles sont les raisons qui expliquent cette inversion de la hiérarchie ?"
- Then, behind him, "Hello, lad."
Dudley Smith stepped through flames, dressed in a fire department greatcoat. (...)
- Dud, you came prepared
- Like the boy scouts, lad. And have you a valediction?
(James Ellroy, L.A. Confidential)
Pour ceux qui n'ont pas fait de latin, la valediction, c'est le discours d'adieu (vale).
Dans les lycées américains, la fin de l'année scolaire se termine par un discours d'adieu (valediction), qui est prononcé par le meilleur élève de terminale de l'année. On l'appelle valedictiorian, et c'est un grand honneur. Pas juste le premier de la classe, hein, le meilleur de toutes les terminales. Le premier des premiers de la classe.
Pourquoi je vous parle de ça ? Parce que l'autre jour, en discutant avec un américain, il me dit : "rends-toi compte, Harvard ne peut accueillir au maximum que 9 % des valedictorians".
Il m'a fallu discuter un peu plus pour comprendre l'argumentation, et ce qu'il voulait dire par là. Le fond de la question est : Harvard, c'est la meilleure université. Leur École Polytechnique à eux. Et logiquement, on voudrait permettre aux premiers de la classe d'aller dans la meilleure université. Sauf que ça coince, parce que, justement, même en admettant que Harvard n'embauche que des valedictoriens (ce qu'elle ne fait pas), il resterait encore 91 % de valedictoriens exclus. Je pense qu'il cherchait aussi à illustrer la sélection sévère qui s'effectue à l'entrée.
Au delà de la question de l'orientation scolaire des premiers de la classe, je trouve que c'est une métrique intéressante. Souvent, en comparant les systèmes éducatifs français et américains, on oublie de corriger en fonction de la taille du pays, ou de comment fonctionne le secondaire. Ou simplement on compare juste la pointe de la pyramide (Harvard contre Polytechnique) sans élargir le champ.
Donc mon idée, aujourd'hui, c'est de parler des premiers de la classe, et de voir quelle orientation scolaire s'ouvre à eux. Je trouve qu'on ne s'occupe pas assez de l'avenir scolaire des premiers de la classe (je reconnais que je suis peut-être biaisé sur ce point).
Données d'entrée : le nombre de lycées (18435 High-Schools aux USA, 2626 lycées généraux en France et 1687 lycées professionnels). On suppose un premier de la classe par lycée. Et on suppose que les universités ne recrutent que des premiers de la classe (ce qui, je me répète, n'est pas le cas). Dans ce modèle, où iront tous les premiers de la classe ?
Taille d'une promotion (aux USA)
Mais d'abord, quelle est la taille d'une promo, dans une université américaine. Ben oui, parce qu'on vous dit : il y a 20 000 étudiants à Harvard, et seulement 800 à Polytechnique. Certes, sur le plan factuel, c'est vrai. Mais Harvard héberge quatre promotions simultanément, et Polytechnique seulement deux. Sans compter les grad students. Si on veut éviter de comparer des torchons et des serviettes, on va prendre la taille d'une promo de première année. Ceux qui rentrent. Ce qui nous donne cette figure :
On y voit clairement deux stratégies différentes : l'option "petite promo" et l'option "grosse promo". Forte sélection à l'entrée... ou pas. On voit aussi que lorsque deux universités sont en concurrence directe (parce qu'elles sont du même niveau et s'adressent au même public), elles ont tendance à adopter la même stratégie. Harvard et Stanford ont la même taille de promo à 1 % près. MIT et Columbia à 1,5 % près. Princeton, Yale et Chicago sont encore dans un mouchoir de poche.
Pour revenir à notre première question, que donnent des promos de cette taille quand on les compare aux 18 435 High Schools et aux 3,2 millions de "high-school diplomas" décernés chaque année ?
On voit que l'effectif d'entrée à Harvard correspond effectivement à 9 % du nombre de lycées (ou de valedictorians), et que la plupart des écoles sont au même niveau (environ 9 %), sauf les 4 grandes (3 University of California, et Cornell), aux alentours de 20 %. Ce que ça veut dire, c'est que dans l'hypothèse où toutes ces universités n'embaucheraient que des valedictorians, le dernier trouverait à se caser entre Cornell et UCLA. Ce qui nous donne 11 Universités pour avoir le nombre de lycées, malgré CalTech et ses promos faméliques.
Et en France ?
On peut faire les mêmes calculs et les mêmes courbes pour la France. Ainsi, le nombre d'entrants en 1ère année dans les grandes écoles (avec le caveat que la 1ère année d'école correspond à la 3e année d'étude), ce qui nous donne cette figure :
On y voit tout de suite la différence avec la situation américaine. Alors que là bas la plupart des universités ont la même taille (à peu près) que le leader, sauf quelques unes qui sont plus grandes, là on a la situation où la plupart des écoles sont plus petites que le leader. Et pas qu'un peu plus petites : une majorité de "grandes" écoles se situent entre 100 et 150 entrants. Ou, si vous préférez, entre 1/4 et 1/3 d'une promo de l'X. En rigolant, Polytechnique est quatre fois moins sélective que les Mines de Paris.
Comme diraient les américains, "Wait, what?".
Et si on ramène ces promotions à la population intéressée ? Il y a en France 4313 lycées (dont 2626 lycées généraux, et 1687 lycées professionnels), qui nous donnent 500 000 élèves en terminale (chiffres de 1995), qui passent tous le Bac, dont 140 000 passent le bac S. Pour ceux qui aiment les divisions, ça vous fait environ 53 élèves de Terminale S par lycée général, soit environ deux classes de TS.
Avec cette division, on obtient la figure suivante :
L'effectif d'entrée à Polytechnique correspond environ à 9 % du nombre de valedictorians français. Comme Harvard. Ca doit être une des constantes de l'Univers. Là s'arrête cependant le parallèle. Aucune grande école française ne vient remplir le rôle de l'University of California (ou de Cornell)... Ce qui fait qu'en effectifs cumulés, bien que je sois allé jusqu'à la 17e école, je n'arrive toujours pas à caser mes premiers de la classe.
Pour moi, c'est là qu'est le vrai problème : on a un système basé sur l'excellence... mais qui finit par exclure des gens excellents. En regardant ma courbe, les 10 premières GE peuvent accueillir au maximum 50 % des premiers de la classe...
]]>J'ai deux conseils à donner aux candidats à des postes de chercheur ou d'enseignant-chercheur :
Si la personne qui évalue votre dossier est obligée de faire le tri à la main, pour finir par comprendre que sur vos 12 articles dans des journaux internationaux, seuls 5 sont vraiment acceptés, les autres sont juste soumis, eh bien... vous partirez avec un a priori négatif.
Parmi vos multiples publications, il y en a certainement dont vous êtes plus fiers que d'autres. Je ne sais pas moi, l'article dans "Nature", il vous a fait plus plaisir que l'article dans la "Revue Internationale de Chimie Biologique", non ?
Eh bien le jury, il pense comme vous. Et comme il est débordé, il apprécie que vous lui prépariez le travail. Au lieu de lui dire : "ahah, j'ai 43 publis dans des journaux internationaux", dites-lui : "j'ai 43 publis dans des journaux internationaux, dont 12 dans des journaux de rang A (2 Nature, 4 Science, 4 Nature Methods, 2 Siggraph)".
]]>Paradoxalement, ça vous pose plus un dossier d'avoir des publis de très grande classe (même s'il y en a moins) que d'avoir beaucoup de publis, mais aucune dans un grand journal.
La Cour des Comptes a rendu récemment ses rapports pour l'année 2011. Un certain nombre de chapitres concernent le monde de la Recherche :
On en a parlé à plusieurs endroits. La lecture de ces rapports est toujours intéressante, et je vous la recommande. En quelques mots, ce que j'en retiens : (mes commentaires éventuels sont en italiques)
Sur l'ANR :
Sur le CNRS :
L'association des géographes américains tenait cette semaine son congrès annuel à Washington, DC. Elle regroupe cette année plus de 7000 contributeurs, dont environ 2000-2500 géographes européens.
Lequels sont tous bloqués de ce côté-ci de l'Atlantique.
Une vraie étude de cas grandeur nature. Islande-Mondialisation, 1 partout. Je vous liste les réactions :
En attendant, nous, nous aussi organisons the first ever Stranded Geographers Party, demain soir !
]]>Politique générale :
Universités
Rercherche
Il s'agit aujourd'hui du financement de la recherche. À moins de vivre dans une splendide isolation, vous avez du entendre parler de l'ANR, qui a introduit en France le principe du financement par projet, comme la NSF, le NIH, la DFG... Vous avez probablement même entendu dire un peu de mal de cette nouvelle institution. Moi-même, ça m'arrive, parfois.
En même temps, comme l'a fait remarquer JF, il faut bien distribuer l'argent, et demander aux gens d'écrire ce qu'ils comptent en faire avant de le leur donner n'est pas forcément idiot. Et dans les critiques de l'ANR, il faut distinguer le structurel du conjoncturel (le structurel, ça voudrait dire que le fait même de distribuer de l'argent par projet est mal, le conjoncturel, ça veut dire que le processus de review est, disons, améliorable).
Mais tout système de review a ses défauts, et celui qui est en place chez nos voisins anglais n'échappe pas à la polémique. Un autre type de polémique, cependant. Pour redonner le contexte, il faut se rappeler qu'il n'y a pas de limites au nombre de projets qu'on peut soumettre. Comme en plus le processus comporte toujours une part d'aléatoire, soumettre beaucoup de projets augmente les chances d'acceptation. Ça n'est pas linéaire, bien sûr : 10 projets de qualité moyenne n'ont pas 10 fois plus de chance d'être accepté qu'un seul. Mais parfois plus qu'un projet de bonne qualité. Surtout si le processus de review n'est pas parfait, et que la note du projet dépend un peu du hasard.
Empiriquement, on voit deux genres de comportement : certains soumettent peu de projets, en essayant de soigner le contenu, d'autres envoient beaucoup plus de projets, sans attention au contenu. À l'autre bout, dans l'agence de financement, il y a aussi deux comportements possibles : 1) c'est comme ça, on laisse faire, ou bien 2) c'est pas notre rôle, et ça diminue la qualité globale des projets retenus (ceci en supposant que l'agence de financement prenne son rôle à cœur, et qu'elle veuille favoriser la recherche fondamentale).
À partir d'un certain seuil, la quantité de projets envoyés peut finir par engorger l'agence (et a un impact sur la qualité du processus de review, quelque chose auquel je tiens).
Pour éviter cet écueil, l'ERC a prévu depuis sa fondation que si vous envoyez une proposition et qu'elle est jugée en dessous d'un critère de qualité, alors vous ne pouvez pas recandidater pendant un an. Notez bien qu'il y a deux seuils de qualité pour la sélection : un seuil au dessus duquel votre proposition est évaluée sérieusement et classée (mais pas forcément financée, ça dépend du budget), et un seuil en dessous duquel non seulement votre proposition est rejetée, mais en plus vous êtes exclus pour un an.
Cette année, l'EPSRC (agence anglaise de financement de projets de recherche en Physique et Chimie) a pris une mesure moins drastique, mais plus contestée : si sur 24 mois, vous avez soumis trois propositions qui ont toutes les trois été classées dans "the bottom 50 %", alors vous entrez en purgatoire : vous n'avez plus droit qu'à une seule proposition sur les 12 prochains mois. Cette proposition a été vigoureusement contestée (notamment sur Twitter, mais aussi dans les labos anglais), et j'ouvre ce billet en partie pour permettre aux gens d'exprimer leurs arguments sur plus de 140 caractères. Nature a pris position dans un éditorial (ils sont pour, et ils en profitent pour donner un contexte historique).
Il me parait clair que ça ne peut être qu'une mesure transitoire : si on enlève systématiquement les 50 % du bas, on a une suite géométrique, et à un moment il ne reste plus qu'un scientifique qui a le droit de soumettre. Mais la mesure permet de réduire le nombre de soumissions et d'augmenter la qualité des projets retenus, je suis pour. L'EPSRC a bien dit qu'il s'agissait de mesures temporaires, qui seraient revues en fonction de leurs résultats.
]]>Je vais vous faire du qualitatif, du comparatif. En me basant juste sur mon expérience personnelle. Pour mon équipe de recherche, la contribution de la région représente entre 1 et 2 % du budget annuel. C'est faible. Même si je ne considère que le budget hors salaire, qui représente plus ou moins les conditions de travail des chercheurs (si on peut partir en missions, si on peut racheter un ordinateur...) la contribution de la région reste de l'ordre de 5 % (la même chose que le CNRS, d'ailleurs). Je suis content de leur contribution, mais si elle n'était pas là, ça ne serait pas une catastrophe pour l'équipe.
En fait, pour moi, la contribution principale de la région à la recherche, la chose qu'ils font et qui change le monde, ce sont les bourses de mobilité (appelée Eurodoc, puis Explora'Doc). Ces bourses donnent des moyens pour partir 6 mois au cours de la 2e ou 3e année de thèse, dans un laboratoire de recherche étranger. L'équivalent de ces internships que les doctorants américains font tous les étés, mais en sens inverse (et pas forcément pendant l'été). Le séjour de 6 mois peut être soit une fois 6 mois, soit deux fois 3 mois. Presque tous les doctorants de l'équipe depuis... très longtemps ont déposé une demande, presque tous ont vu leur demande acceptée, tous ceux qui l'ont fait ont vu un boost énorme sur leur recherche.
Le seul défaut que j'y vois, c'est que la demande doit être déposée au cours du premier semestre de la première année. Donc on se retrouve un peu à jouer les voyantes extra-lucides en devinant dans quelle direction un étudiant va diriger ses recherches et s'il sera intéressé par un séjour à X ou à Y... deux à trois ans plus tard.
Je n'arrive pas à savoir si ces bourses sont une spécificité de ma région, ou si elles sont généralisées. En tout cas, en terme d'effet concret par euro investi, je dirais que c'est énorme.
Au passage, j'en profite pour caser un détail : les doctorants américains ne sont pas payés pendant l'été. Du coup, ils vont passer l'été à travailler en entreprise, ça s'appelle des internships, et ça donne des crédits comptabilisés pour leur diplome. Tout le monde y trouve son compte : les entreprises y gagnent de la main d'œuvre bon marché (mais payée quand même), et l'occasion de voir leurs futurs recrutés. Les étudiants y gagnent un contact avec l'industrie, et un salaire meilleur que la bourse de thèse. Les universités y gagnent de futurs employeurs pour leurs docteurs et des contacts avec l'industrie (et des fois des dons). Comme les mois d'été ne sont pas payés, la thèse dure plus longtemps à prix égal, ce qui permet de faire murir les idées.
Le phénomène n'est pas anodin : Microsoft parvient ainsi à voir passer 25 % de l'ensemble des doctorants en Informatique. C'est énorme.
]]>